DE LA RÉALITÉ À LA FICTION (ET VICE-VERSA)
ou
L’HOMOSEXUALITÉ VUE ET REPENSÉE VIA LE PRISME DE LA TRANSIDENTITÉ (UNE TENTATIVE)
ou
APPROCHE EMPIRIQUE DU METAPARADIGME LESBIEN DANS UNE PERSPEPECTIVE COSMOGONIQUE DE LA PERFORMATIVITÉ UNIVOQUE DU GENRE SOCIAL COMME VECTEUR D’UNE REFONTE COGNITIVE DE LA PROBLÉMATIQUE TRIBADIQUE (VIA UN DISCOURS SITUÉ)
Bon, comme d’habitude quand je me lance dans de la théorie, je n’ai pas la moindre idée de par où commencer, ni de là où je vais atterrir, ni si vous aurez eu le temps de comprendre quoi que ce soit entre temps, ni si ça a le moindre intérêt… Puis faut bien avouer qu’en ce moment les grandes théories commencent un peu à me fatiguer et plus le temps passe, plus je me remets à fonctionner au feeling… Bref, y’a des trucs qui me gavent et y’a des trucs qui me parlent, je sais pourquoi, et peu importe la Grande Théorie Intelligente © à laquelle ça se rattache.
Là, pourtant, je suis obligée de faire une entorse à cette nouvelle attitude parce que je me retrouve devant une problématique sur laquelle je n’ai strictement rien lu, rien trouvé, rien entendu, en dehors de quelques rares bouts de discussion avec une amie. Ce n’est par ailleurs pas très étonnant puisque c’est pas comme si on avait beaucoup le temps de théoriser sur nos vies dans ce monde qui les rend si compliquées et dans le magma intellectuel fait par les cis pour les cis.
Enfin, ce qui me rassure c’est que compte tenu de ma vie affective et sexuelle actuelle, elle même résultante de mon approche politique du relationnisme et de la valeur sexualité d’une part et de mon statut de lesbienne trans pas baisable d’autre part, parler de ce sujet relève au moins autant de la fiction que de la théorie.
Bref, je voulais parler d’homosexualité en prenant comme point de départ mon statut de personne trans.
En tant que personne trans, j’ai besoin de repenser la notion d’homosexualité pour qu’elle corresponde à mon vécu et à la façon dont je m’envisage dans le monde et dont le monde se pose à moi.
Ce qu’on appelle “homosexualité” induit l’idée qu’on kiffe une personne “pareille” que nous. Je simplifie un peu, certes, mais l’idée est là. Sauf que cette notion de “pareil”, si l’on prend les choses comme elles sont généralement admises, est strictement limitée au genre. Or, j’ai envie d’y ajouter un paramètre de “parcours”. En tant que lesbienne, je suis censée être “attirée” par d’autres lesbiennes. En tant que lesbienne trans, il s’avère que je suis souvent “attirée” par d’autres lesbiennes/meufs trans. Mais en tant que personne trans, il s’avère que je suis aussi parfois “attirée” par d’autres personnes trans, y compris des mecs trans. Et je suis intimement convaincue qu’il ne s’agit pas là d’hétérosexualité. Pour faire bref, là où je me sens “au maximum homosexuelle”, c’est dans mes “attirances” vis à vis de lesbiennes/meufs trans. Mais en dehors de ça, je me sens autant “homosexuelle” en étant “attirée” par des lesbiennes cis que par des mecs trans. Attention, si je dis ça, c’est parce que je suis une meuf trans, donc : avis aux “lesbiennes” cis transboyloveuses, cette réflexion n’est pas pour vous et ne vous concerne pas !
Et pour être claire et re-claire, je ne dis surtout pas que ce sont les mêmes choses qui sont en jeu avec les lesbiennes cis qu’avec les mecs trans. Je dis justement que ce sont des choses complètement différentes, qui sont pourtant comparables (et non identiques !) à un certain niveau.
En quelque sorte, dans ma vision de “l’homosexualité”, il y a l’idée d’une “attirance” pour des personnes ayant une attitude, un vécu, une histoire, un rapport au monde similaires aux mienNEs. Quand je dis “similaire”, ça ne veut pas dire “exactement pareil”, mais ça dépasse largement la question du genre. Et pour l’instant, je n’ai pas d’éléments tangibles me permettant de dire que je trouve plus de similitudes avec des lesbiennes cis qu’avec des mecs trans. Certes, avec les lesbiennes cis je vais partager un certain nombre de choses liées au genre, au statut de lesbienne, à la façon d’envisager les relations, etc., mais avec des mecs trans je vais partager aussi plein de choses liées au statut de personne trans, à l’expérience de la transition, au rapport au corps, etc. Et ce serait une erreur d’analyse de reléguer cette connivence avec certains mecs trans à de l’hétérosexualité, puisqu’elle provient justement de la “partie similaire” de nos vécus.
Bon, je ne cherche pas du tout à généraliser ni à figer une certaine image de La Lesbienne © ou de La Personne Trans ©. Il y a des tas de lesbiennes et de personnes trans avec qui je n’ai strictement rien à partager et avec qui je n’ai pas le moindre bout de vécu en commun. Donc l’idée n’est pas du tout de dire qu’entre lesbiennes on est toutes liées par une Pulsation Rythmique Mystique ni qu’entre personnes trans on se comprend tout de suite parce qu’on a touTEs les mêmes parcours. Non, je ne me sens pas spécialement de liens avec une “femme cis qui aime les femmes”, avec une meuf trans réactionnaire ou réformiste, avec un mec trans hétérobeauf viriliste…
Ce que je cherche simplement à dire, c’est que toutes choses égales par ailleurs, je ne vois pas d’éléments probants me permettant de limiter mon homosexualité à de la connivence avec d’autres lesbiennes, et de ne pas prendre en compte la connivence que j’ai avec des mecs trans. Et ça, en raison de mon statut/vécu/identité (aucun de ces mots de me convient réellement) de lesbienne trans. Certes, la connivence maximale se fait avec d’autres lesbiennes trans, mais vu notre nombre assez réduit, la réflexion se retrouve vite confrontée à d’autres enjeux qui n’ont rien à voir (camaraderie, sororité, communauté, trois choses qui selon moi passent largement avant la “connivence/attirance”).
En bref, la vision cis-centrée de “l’homosexualité” (= une femme avec une femme), même passée par la moulinette wittigienne (= une lesbienne avec une lesbienne), et même passée par la bien-pensance contemporaine (= une lesbienne cis ou trans avec une lesbienne cis ou trans), ne suffit pas à traduire mon vécu et mon approche des choses. Limiter “l’homosexualité” à une simple question de genre, ça ne me suffit pas, puisque mon attitude face au monde est autant liée à la partie “lesbienne” de moi-même qu’à la partie “trans” de moi-même.
Pfff, ça y est, j’ai épuisé mon stock intello-proutprout, et je me perd. Si je continue, soit je vais dire n’importe quoi, soit je vais redire dix fois ce que j’ai déjà dit, donc autant s’arrêter.
Peut-être que tout ce blabla est complètement ridicule et ne sert à rien, mais je préfèrerais éviter cette hypothèse car ça serait donner raison aux queers bisounours idéalistes qui ramènent tout à la notion d’individuE… Peut-être aussi que je cherche juste à m’intégrer et à affirmer mon identité de vraie lesbienne, puisqu’aujourd’hui, dans une certaine frange d’un certain milieu lesbien, pour être une vraie lesbienne il faut se taper des mecs trans.
Enfin, je précise quand même que cette réflexion n’a absolument pas pour objectif d’être transposable à d’autres “catégories sociales”. Je pense que déjà là c’est hyper complexe à saisir, et je suis loin d’avoir cerné toute la problématique, donc pour la généralisation métaphysique du concept, il faudra repasser. Puis je ne suis pas sûre que ce soit une très bonne idée de vouloir à tout prix transposer systématiquement à toutes les “catégories opprimées” des concepts qui s’appliquent en premier lieu à une seule.
S.H. (novembre 2011)
P.S. Vous remarquerez le nombre de guillemets dans ce texte, c’est dire si les termes existants s’appliquent mal à ce que j’essaye de formuler…